À Gaza, une équipe de foot d’estropiés pour panser les amputations de la guerre





Pendant que les yeux des amateurs de football sont rivés sur les derniers matches du Mondial-2018 en Russie, d’autres se réunissent toutes les semaines dans la bande de Gaza pour un entraînement. Leur particularité ? Ils forment la première équipe de football pour amputés de Palestine et espèrent, un jour, pouvoir représenter leur pays dans des tournois internationaux.

Tous les lundis après-midis depuis le mois de mars, les 17 joueurs du “Club des champions “se retrouvent sur le terrain municipal de la ville de Deir al-Balah, à une quinzaine de kilomètres au sud de la ville de Gaza. Ils ont entre 13 et 42 ans et ont tous été amputés d’une jambe (ou d’un bras pour les gardiens de but), à la suite des bombardements ou des tirs de l’armée israélienne.

Entraînements de l’équipe de football pour amputés de Deir al-Balah, dans la bande de Gaza. Vidéo filmée par notre Observateur Mahmoud Naouq.

Les offensives répétées sur la bande de Gaza ont laissé un grand nombre d’amputés à qui nous avons voulu redonner espoir.

Mahmoud Naouq est le manager de l’équipe de Deir el-Balah. Il est lui-même handicapé et se déplace en fauteuil roulant :

Nous devons cette équipe à Fouad Abou Gahlyoun, qui fait partie du comité paralympique de Gaza. Sa mère a perdu son bras en 1949, ce qui ne l’a pas empêchée d’élever ses enfants, et cela a beaucoup marqué son fils. L’idée de fonder cette équipe lui est venue en regardant la finale de la Coupe d’Europe de football amputé [en octobre 2017, NDLR] entre la Turquie et l’Angleterre.

Il m’a alors contacté pour me proposer de recruter des joueurs et fonder une association palestinienne de football pour amputés. Notre plan est de partir d’abord d’une équipe locale pour ensuite créer un championnat et, à terme, avoir une équipe nationale palestinienne qui pourrait participer à des tournois internationaux. Nous avons commencé par rassembler des joueurs chez nous, à Deir al-Balah, et espérons en faire de même dans les quatre autres départements de la bande de Gaza. Le premier entraînement a eu lieu le 30 mars dernier.

 

 

 

Entraînement sur le terrain municipal de Deir el-Balah. Photos envoyées par notre Observateur Mahmoud Naouq.

Le 30 mars marquait également le début de la “marche du retour” des Gazaouis vers la frontière avec Israël, marquant le 70e anniversaire de la Nakba, terme qui désigne l’exode massif des Palestiniens, pendant la première guerre israélo-arabe en 1948. Lors de ces manifestations qui ont duré jusqu’au 15 mai, “90 % des patients [étaient] touchés aux jambes”, selon l’ONG Médecins sans frontières. Le Washington Post a notamment relaté l’histoire d’Alaa al-Daly, un cycliste de 21 ans, et de Mohammad al-Ajouri, un coureur de 17 ans, qui ont tous les deux perdu une jambe après avoir été touchés par un tir de soldat israélien. Plus généralement, la population de Gaza compte plus de 75 000 handicapés moteurs ou visuels sur un total de 1,9 million d’habitants.

Les offensives sur la bande de Gaza ont laissé un grand nombre d’amputés

Les offensives répétées sur la bande de Gaza [2006, 2008-2009, 2012, 2014, NDLR] ont laissé un grand nombre d’amputés. Former cette équipe était par conséquent plus légitime ici qu’en Cisjordanie. En même temps, tout est difficile dans la bande de Gaza, vu le siège et le manque d’infrastructures et de moyens. Vous imaginez donc que c’est encore plus compliqué quand on est handicapé !

Le football pour amputés nécessite du matériel professionnel, notamment des béquilles spéciales, plus résistantes que celles utilisées pour marcher et qui coûtent en moyenne 100 dollars [85 euros] la paire. Heureusement, l’association de Deir al-Balah d’aide aux handicapés nous soutient financièrement. Nous espérons d’autres soutiens à l’avenir.

Les joueurs viennent d’horizons divers, certains jouaient déjà avant dans une équipe et ont dû apprendre à jouer autrement. D’autres n’avaient jamais joué et y ont vu un défi. Ils prouvent ainsi qu’ils peuvent continuer à vivre, à réaliser des choses, malgré le siège israélien.

Notre but est également de redonner espoir à ces personnes, les aider à reprendre une activité physique et à avoir une occupation dans leur vie, à ne pas désespérer. Alors pendant le ramadan [juin 2018, NDLR], avant un match entre deux clubs locaux, nous avons organisé une partie amicale en constituant deux équipes qui se sont affrontées. Le public était surpris, il ne s’attendait pas à un tel spectacle. Mais les supporters ont très vite réagi de manière très positive, ils se sont montrés très enthousiastes et nous ont longuement applaudis à la fin. Ils étaient fiers qu’une telle initiative ait vu le jour en Palestine. 

 

 

Photos du match organisé en juin dernier, prises par le photographe gazaoui Ashraf Amra.

“Au début, certains joueurs avaient un peu honte de s’afficher en public”

Wahid Rabbah, 42 ans, est l’aîné des joueurs de l’équipe de Deir al-Balah pour amputés. Il a perdu sa jambe en 2006, dans un bombardement israélien.

Ce n’est pas ma première expérience en handisport, j’ai déjà fait de l’athlétisme avant. Mais le football, c’est différent, cela demande plus d’efforts physiques que du lancer de disque par exemple. Les premiers entraînements étaient difficiles, car contrairement aux footballeurs valides, nous autres joueurs amputés sollicitons tout autant nos bras que nos jambes : il faut courir et dribler non seulement avec sa jambe mais aussi avec les béquilles sur lesquelles, souvent, nous pesons de tout notre poids.

Je sais à quel point il est difficile pour un amputé de sauter le pas. Il faut du temps pour s’habituer à son corps, oser sortir, se montrer, s’habituer au regard des autres. Pour la société, une personne qui a perdu un membre est condamnée, elle ne peut plus travailler et n’a plus vraiment de vie. Cette équipe prouve qu’au contraire, nous avons encore des choses à faire, des défis à relever.

J’ai vu comment les nouveaux joueurs sont intimidés au début, ils ont même honte parfois de s’afficher en public. Heureusement, cela ne dure pas longtemps : d’une part parce que le sport apporte un épanouissement certain, d’autre part, parce que les gens qui nous voient parfois nous entraîner ou qui ont assisté à notre premier match ont été à la fois surpris et impressionnés par notre jeu. Une fois l’étonnement passé, ils nous encouragent à continuer, à ne pas baisser les bras.

 

Entraînements de l’équipe de football pour amputés de Deir al-Balah, dans la bande de Gaza. Vidéo filmée par notre Observateur Mahmoud Naouq.

Le football pour amputés n’obéit pas aux mêmes règles que le football classique : le terrain y est plus petit ainsi que les cages des buts, et les périodes de jeu durent 25 minutes.

L’équipe de Deir al-Balah est la deuxième équipe de football pour amputés du monde arabe, après “L’équipe des miracles” qui a vu le jour en Égypte en 2017. Par ailleurs, la Palestine est présente dans le handisport et participe aux jeux paralympiques depuis 2000. Elle a déjà remporté trois médailles.


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