Le va-t-en-guerre de Trump contre l’Iran suspendu aux elections de 2020

Lorsque l’on travaille sur le Moyen-Orient, on s’en veut souvent de jouer les oiseaux de mauvais augure et de manquer d’optimisme. Il y a des raisons de s’inquiéter de nombre de situations explosives, déjà existantes avant l’arrivée du président américain en 2016, ou attisées par lui depuis. Le Moyen-Orient est la principale poudrière depuis des décennies dans le monde. On se demande bien d’ailleurs si la région ne servirait pas de catalyseur des haines occidentales pour tenter de fédérer des nations fragilisées et individualistes autour d’une menace commune. Car l’Iran, comme la Corée du Nord, ou bien avant cela l’Irak, la Syrie et la Libye, sont des ennemis qui tombent à point nommé pour des pays occidentaux inquiets de perdre leur leadership mondial et largement divisés sur de nombreux enjeux géopolitiques majeurs. Il est plus pratique de s’allier autour d’un ennemi commun qu’autour de prétendus intérêts ou de peuples qui en réalité n’ont rien en commun…

Le merchandising politique autour de l’Iran est depuis des années très efficace à cet égard. Et les tensions se déchaînent traditionnellement contre Téhéran à l’approche d’un scrutin américain décisif, comme le débat sur l’Algérie finit toujours par pointer dans une campagne présidentielle française pour diviser les Français. Déjà en 2010-2011, le président Barack Obama et futur candidat à sa succession avait subi les foudres du… Premier ministre israélien, déjà Benjamin Netanyahou à l’époque, qui avait monté une cabale contre les Etats-Unis, leur reprochant leur angélisme et leur refus d’attaquer l’Iran. Barack Obama, qui a porté avec les Européens les négociations qui mèneraient à l’accord sur le nucléaire iranien le 14 juillet 2015, a toujours refusé d’intervenir contre Téhéran. Il suffit de relire la presse de l’époque pour voir à quel point Netanyahou se démenait auprès de toutes les chancelleries, dans une approche à la fois messianique et religieuse, afin de faire plier la Maison Blanche et de convaincre la communauté internationale que ce pays était le diable, et «Amalek» l’ennemi historique et absolu d’Israël. Et en fin de compte, l’ennemi de toutes les nations…

Que cherche le président américain ?

Rebelote en 2016. A l’arrivée de Donald Trump, Netanyahou se félicite de voir débarquer à Washington un va-t-en-guerre prêt à en découdre avec tous les ennemis capables d’empêcher l’Amérique de redevenir la plus grande et la plus puissante. Le retrait du président américain en 2018 du traité sur le nucléaire iranien signé à Vienne, loin de redistribuer les cartes, a en fait poursuivi le processus d’isolement de Téhéran : Trump a ainsi a confondu les Européens frileux, qui ont été les premiers, comme Total, à quitter l’Iran, de peur des sanctions économiques liées à la diplomatie du dollar. Que cherche le président américain depuis plusieurs semaines ? A montrer qu’il reste le gendarme du monde élu par la Bible Belt et les évangélistes, qui croient en un combat du bien (eux) contre le mal (l’Iran et la Corée du Nord, entre autres) et à l’Apocalypse qui arrivera un jour plus ou moins proche. Et force est de constater que Trump s’y prend très bien pour embraser la région du Moyen-Orient et le monde : soutien inconditionnel à l’Arabie saoudite et aux Emirats arabes unis qui mènent de nombreux combats anti-démocratiques, isolement absurde du Qatar, où se trouve Al Oudeid, la plus grande base américaine hors-Etats-Unis, désignation comme l’ennemi absolu de l’Iran… La République islamique n’est certes pas un pays «tendre», mais le «danger» qui en émane est probablement exagéré comparé à celui que présente le Pakistan, qui a l’arme atomique et est engagé dans un bras de fer avec son rival indien.

Pourtant, comme l’a dit l’emblématique ministre iranien des Affaires étrangères, Javad Zarif, Trump a échoué dans ses efforts visant non seulement à faire craindre Téhéran comme le mal absolu, puisque peu le suivent dans cette croisade, mais également dans sa volonté de créer, par la «pression maximale», un bloc d’alliés notamment européens pour faire plier les Iraniens. Déstabiliser l’Iran sans négocier serait une erreur absolue que toute la région paierait pendant des décennies. Mais Trump n’aime guère négocier politiquement. De plus, Trump n’a pas hésité à clamer que quelques instants avant de lancer une attaque il y a quelques semaines de cela, il se serait ravisé in extremis. Marque de faiblesse ? Cela fleure en réalité le scénario hollywoodien et la télé-réalité, dont il raffole. La réalité est selon nous tout autre : faire plier l’Iran d’un point de vue économique est en partie efficace puisque l’on parle d’un risque d’inflation de près de 40% dans les semaines à venir dans le pays, dont les Iraniens vont pâtir. Jusqu’à quand les jeunes Iraniens tiendront sans provoquer le chaos contre leur régime ?

Nous avons plutôt tendance à penser que Donald Trump joue un simple numéro d’esbroufe depuis des semaines pour apparaître comme le gardien du temple du monde, et fédérer ses électeurs convaincus d’une menace que seule l’Amérique pourrait arrêter. Et il excelle dans un jeu qu’il pratique bien mieux que la politique : le business et la pression économique. De là à mener une guerre à un an des élections ? Certainement pas ! Comme en 2011, tout va retomber rapidement avec la campagne américaine, les enjeux internes, la crise économique, l’immigration, les attentats suprématistes, etc.

Alors que les Etats-Unis ont été en guerre quasiment durant depuis le début de leur existence, on constate qu’ils ne gagnent plus une seule guerre depuis le Vietnam. Alors à quoi bon se lancer dans un conflit contre une armée régionale très puissante ?

On imagine mal Trump risquer de rater sa réélection en 2020 pour une guerre aventureuse, une de plus. Un conflit qui serait gravissime pour toute la région, puisque l’Arabie saoudite et les Emirats arabes unis emboîteraient le pas, provoquant l’affrontement des deux plus grands blocs idéologiques, politiques, culturels, et religieux de la région. Et s’il n’est pas réélu, qui gèrerait ce chaos ? Bref, en deux mots comme en trois : rien à gagner. Donald Trump attendra au moins d’être réélu pour poursuivre sa théorie du chaos, c’est quasiment devenu une évidence. Mais en 2020 et après, s’il est réélu, qu’aura-t-il alors à perdre ?

Sébastien Boussois est docteur en sciences politiques, chercheur Moyen-Orient relations euro-arabes/terrorisme et radicalisation, enseignant en relations internationales, collaborateur scientifique du CECID (Université libre de Bruxelles), de l’OMAN (UQAM Montréal) et du CPRMV (Centre de prévention de la radicalisation menant à la violence/Montréal).

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