Sanctions de l’UE contre la Russie: un jeu suicidaire où absolument tout le monde perd

Aux sanctions de l’UE décidées en mars, la Russie a répondu le 30 avril par des contre-sanctions. La diplomatie européenne a riposté en convoquant ce 3 mai l’ambassadeur russe. Pour Sébastien Cochard, ancien diplomate, Moscou doit privilégier les contacts avec les États membres sans tenir compte du «droit-de-l’hommisme» bruxellois.

«Le mieux que la Russie a à faire est d’ignorer les institutions de l’UE. Ignorer la Commission européenne, le Parlement, les représentants du Conseil. Les institutions de l’UE sont faibles et ne représentent personne», conseille Sébastien Cochard, ancien diplomate et conseiller de députés européens.

Depuis mars, le torchon brûle entre Moscou et Bruxelles. Dernier épisode en date de cette brouille, le 3 mai, Vladimir Chizhov, ambassadeur de Russie auprès de l’UE, a été convoqué par les secrétaires généraux de la Commission européenne et du Service européen pour l’action extérieure. Les fonctionnaires bruxellois ont «fermement» condamné les sanctions prises le 30 avril par la Russie. Celle-ci a en effet interdit de territoire huit hauts responsables de l’UE, dont David Sassoli, président du Parlement européen, la commissaire Vera Jourova, le procureur de Berlin Jörg Raupach et le député français Jacques Maire.

L’UE «se réserve le droit de prendre les mesures appropriées» ont encore menacé les responsables européens. «La Fédération de Russie a choisi la voie de la confrontation au lieu de chercher à inverser la trajectoire négative des relations UE-Russie», s’est même indigné le chef de la diplomatie européenne, Joseph Borrell.

La Russie interdit d’entrée plusieurs personnalités de l’UE dont le président du Parlement européen
Confrontation ou réciprocité? La diplomatie russe a en effet expliqué n’avoir fait que riposter aux sanctions imposées par l’UE le 2 mars contre quatre fonctionnaires russes, prises dans la foulée de l’affaire Navalny et à celles du 22 mars contre les responsables de «graves violations des droits de l’homme» en Tchétchénie. «Un défi ouvert à l’indépendance de la politique intérieure et extérieure russe», selon Moscou.

Mais les institutions de l’UE veulent «se faire passer comme victimes», juge Sébastien Cochard, qui souligne n’exprimer que son opinion, tandis que les diverses sanctions européennes à l’encontre de Moscou sont «toujours en extension, toujours reconduites». Les principales d’entre elles datent de mars 2014 à l’occasion du conflit ukrainien et du rattachement de la Crimée à la Russie. Celles-ci sont d’ailleurs toujours en vigueur, renouvelées quasiment automatiquement tous les six mois par le Conseil européen, avec dans leur collimateur des individus et des secteurs spécifiques de l’économie russe.

Moscou a immédiatement décrété un embargo sur les produits alimentaires et agricoles occidentaux exportés habituellement en Russie. Une mesure prolongée en 2020 jusqu’à la fin 2021 et qui représenterait un marché estimé à neuf milliards d’euros annuels pour les Européens.

​Punir la Russie? Pour Sébastien Cochard, c’est ni plus ni moins qu’un «jeu suicidaire où absolument tout le monde perd.» Ou, plus précisément, qui permettrait à d’autres de tirer leur épingle du jeu: «notre division contre nature sert les États-Unis et la Chine.»

«Les sanctions de l’UE, qui induisent ponctuellement des contre-sanctions toujours raisonnables de la part de la Russie, créent des dommages irréversibles à la relation économique entre les États membres de l’UE et la Russie. Les institutions de l’UE, certains de ses États membres, se permettent en permanence une ingérence honnêtement insupportable et injustifiée dans les affaires intérieures russes.»

Ainsi, la diplomatie européenne a-t-elle reproché à Vladimir Chizhov l’expulsion de diplomates tchèques par la Russie et la mise en place d’une liste de pays «non amis». Une série de griefs qui s’inscrivent dans un contexte de fortes tensions entre Moscou et l’UE, encore ravivées par l’affaire Navalny. Sébastien Cochard y voit surtout «des années de provocations gratuites et d’actes de dénigrement systématique de la Russie» par les Européens. Depuis la visite de Borrell à Moscou le 5 février, le ton adopté par Bruxelles laissait présager un durcissement des relations bilatérales.

Et l’ancien diplomate d’indiquer d’où provient selon lui cet «antagonisme institutionnel de l’UE contre la Russie». Alors que certains États membres, comme l’Italie, la France et parfois l’Allemagne, ont régulièrement affiché leur volonté de dialogue avec la Russie, d’autres comme les pays baltes et la Pologne revendiquent cette opposition à Moscou comme «une composante importante de leur politique intérieure.» Ce qui se traduit par une «prise en otage des relations extérieures de l’UE à des fins de politique interne de ces très petits pays.»

Second et principal facteur de cet antagonisme, le suivisme à l’égard de la politique étrangère américaine: «la politique extérieure de l’UE est à la remorque de celle des États-Unis.» Ainsi, Anthony Blinken, le nouveau Secrétaire d’État américain, a-t-il assisté le 22 février en visioconférence au Conseil des affaires étrangères, celui-là même qui a décidé la mise en place de ces sanctions.

La Russie est la «cible extérieure systématique des Administrations et de la presse outre-Atlantique» pour des raisons de politique intérieure, mais surtout parce que Moscou «refuse de se plier à la globalisation sous égide américaine.» Se félicitant que la politique étrangère reste une prérogative des États membres, Sébastien Cochard appelle Moscou à «ne pas prêter attention à la cacophonie bruxelloise» et à continuer à échanger avec les gouvernements français, allemand ou italien.

«On espère de la France qu’elle fasse entendre une voix raisonnable et indépendante. La relation avec la Russie est un enjeu historique et géostratégique majeur pour tous les Européens», conclut Sébastien Cochard.

Pas sûr qu’il soit entendu, puisque Paris s’est alignée sur Bruxelles: le Quai d’Orsay a convoqué le 3 mai Alexeï Mechkov, ambassadeur de Russie à Paris, pour qu’il s’explique sur les contre-sanctions russes du 30 avril.

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