Soupçons d’implication de la Turquie dans le terrorisme après la mort d’al-Baghdadi

Outre la mort d’Abou Bakr al-Baghdadi, l’opération menée samedi par les forces spéciales américaines contre une maison de Baricha, dans le nord-ouest de la Syrie, apporte une autre information d’importance. L’éphémère « calife » de Daech, que l’on pensait caché quelque part dans la zone désertique entre la Syrie et l’Irak, là même où a pris fin son « califat » en mars dernier, avait en réalité trouvé refuge dans un village de 7 000 âmes situé à Idleb, à moins de cinq kilomètres de la frontière turque.

C’est dans le village de Baricha, à moins de cinq kilomètres de la frontière turque, que se cachait Abou Bakr al-Baghdadi depuis plus de trois mois, selon le New York Times.

« La Turquie doit nous fournir des explications », a réagi dimanche Brett McGurk, l’ancien envoyé de la Maison-Blanche pour la coalition anti-Daech en Irak et en Syrie, dans une tribune au Washington Post. « Baghdadi n’a pas été retrouvé dans ces régions traditionnelles dans l’est de la Syrie ou dans l’ouest de l’Irak – mais simplement à quelques miles de la frontière turque, et dans la province d’Idleb, qui a été protégée par une dizaine d’avant-postes militaires depuis le début de l’année 2018 », a rappelé l’ancien diplomate américain, qui a démissionné de son poste en décembre 2018 pour protester contre la décision de Donald Trump de retirer un premier contingent de soldats de Syrie.

La résidence où a été retrouvé le « calife » terroriste appartient à Abou Mohamad Salamé, un membre de Tanzim Hurras ad-Din, organisation issue de Hayat Tahrir al-Cham (HTS). Anciennement connu sous le nom de Front al-Nosra, la branche syrienne d’Al-Qaïda, HTS s’est allié à partir de 2015 à d’autres groupes islamistes et d’anciens membres de l’Armée syrienne libre pour former l’Armée de la conquête et s’emparer du nord-ouest de la Syrie aux dépens du régime syrien. « L’Armée de la conquête, dont faisait partie HTS, a été entraînée en Turquie et alimentée en armes et en combattants par Ankara », rappelle le géographe Fabrice Balanche, maître de conférences à l’université Lyon-2 et spécialiste de la Syrie.

Dernier bastion des opposants à Bachar el-Assad, la province d’Idleb a été épargnée par un retour du régime syrien grâce à un accord conclu en septembre 2018 entre la Russie et la Turquie. Celui-ci a abouti à la création d’une zone démilitarisée à Idleb, ainsi qu’à la mise en place à travers la province de douze postes d’observation contrôlés par l’armée turque pour la surveiller. Mais dans les faits, Hayat Tahrir al-Cham conserve toujours la mainmise sur ce territoire. Désormais considéré comme une « organisation terroriste » par Ankara, HTS a profité de la fin du « califat » de Daech pour récupérer un certain nombre de ses combattants. « Il existe aujourd’hui des liens établis entre HTS et les services de renseignements turcs du MIT et rien de ce qui se passe dans cette zone ultrasensible n’échappe à leurs oreilles », poursuit Fabrice Balanche.

Selon le New York Times, Abou Bakr al-Baghdadi se trouvait à Baricha depuis plus de trois mois. « Il est donc difficile d’imaginer que HTS n’ait pas su qu’Al-Baghdadi se cachait dans la zone et que les Turcs n’en étaient pas informés », souligne le géographe.

La Turquie a en tout cas été publiquement remerciée dimanche matin par Donald Trump, aux côtés de la Syrie, de l’Irak, de la Russie et des Kurdes de Syrie, lorsque le président américain a confirmé depuis la Maison-Blanche l’élimination du chef de Daech. Mais s’il apparaît que les services de sécurité irakiens et kurdes ont effectivement fourni des renseignements clés à Washington, obtenus de la part d’anciens compagnons de lutte d’Al-Baghdadi, pour permettre de localiser le chef de Daech, il n’en va pas de même pour Ankara, qui a été tenue écartée de l’opération, selon les révélations du magazine Newsweek, le premier à avoir annoncé le décès d’Abou Bakr al-Baghdadi.

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