Turquie : Le calvaire des Syriens expulsés, entre rafles et Camps de détention

Les autorités turques donnent jusqu’au 20 octobre aux réfugiés vivant illégalement à Istanbul pour régulariser leur situation.

Se réinstaller en Syrie après avoir cru échapper pour de bon à l’enfer. C’est ce à quoi ont été contraints plusieurs milliers d’ex-réfugiés syriens chassés de Turquie au cours des deux derniers mois. Le pays accueille sur son sol plus de 3,5 millions de Syriens ayant fui la guerre. Or, début juillet, le gouvernorat d’Istanbul a lancé une campagne visant à expulser de la mégalopole les étrangers en situation irrégulière. Il avait assuré que les 547 000 Syriens vivant dans la capitale économique « sous le régime de protection temporaire » ne risquaient rien, mais que tous ceux qui s’y sont installés illégalement étaient désormais passibles d’expulsion.

Selon plusieurs ONG et d’après de nombreux témoignages, des centaines de réfugiés ont été forcés de signer un document de départ volontaire. Certains, qui avaient déjà obtenu une carte de protection temporaire, ont quand même été expulsés, après avoir été maltraités et parfois agressés physiquement.Les autorités turques avaient lancé un ultimatum à ceux qui vivent illégalement à Istanbul leur ordonnant de quitter la ville avant le 20 août. Mardi dernier, elles ont finalement repoussé la date butoir au 20 octobre, laissant ainsi deux mois aux réfugiés établis à Istanbul, Ankara ou Bursa, pour régulariser leur situation.

Raëd, 25 ans, a quitté la province d’Alep en 2016 et travaille depuis plus de deux ans dans une usine de textile à Istanbul. Il est seul à soutenir financièrement ses parents et ses deux sœurs. Fin juillet, alors qu’il se rend à son travail dans le district d’Aksaray, trois policiers l’arrêtent et lui demandent de montrer sa carte d’identité de protection, qu’il n’avait pas sur lui ce jour-là. « Je leur ai demandé de me donner dix minutes pour la rapporter de chez moi, mais ils m’ont directement menotté et arrêté », raconte Raëd à L’Orient-Le Jour. Sous le choc, il est témoin de l’agressivité des policiers turcs qui le jettent dans un fourgon où se trouvent déjà six jeunes Syriens.

Rafles aléatoires
« En prison, c’était une sensation atroce, où l’on finit par croire qu’on est peut-être un criminel, qu’on a tué ou violé », confie-t-il. Après une semaine de détention, Raëd et seize autres réfugiés syriens sont contraints de signer des papiers de départ volontaire, sans avoir le droit de les lire ou d’obtenir une traduction. Il vit aujourd’hui à Jarablos (province d’Alep, près de la frontière turque) chez un cousin, en attendant de pouvoir repartir en Turquie. Au-delà des rafles aléatoires dans les rues ou dans les lieux publics, les forces de sécurité n’hésitent pas à débusquer les réfugiés directement chez eux, encourageant la délation. Abderrahman et Mohammad, deux cousins partageant un appartement dans le quartier de Bagcilar, à Istanbul, en ont fait l’amère expérience. Ouvriers dans le bâtiment, ils travaillaient tous deux pour la municipalité d’Istanbul, jusqu’à ce qu’on les renvoie au début de la campagne de répression. Le 20 juillet au matin, six policiers débarquent et leur demandent de voir la carte de protection temporaire de tous les présents. « Ils nous ont hurlé dessus et ont frappé ceux qui dormaient encore. Notre pire cauchemar devant réalité. Sans papiers, c’était certain qu’on nous renverrait en Syrie », raconte Mohammad. Les activistes et les médias syriens en Turquie ont fait état d’importants mouvements de déportation à travers plusieurs postes frontaliers tels que Bab el-Hawa, Jarablos et Bab el-Salamé. Une grande partie des déportés seraient des hommes seuls, unique soutien pécuniaire de leurs familles.

Le site officiel du poste-frontière de Bab el-Hawa indique que plus de 10 500 réfugiés syriens ont été déportés en juin et juillet. Mazen Alouch, le responsable des relations publiques à Bab el-Hawa, explique à L’OLJ que l’opération de déportation des réfugiés syriens est toujours en cours. « Jusqu’à la mi-août, près de 5 000 Syriens ont été expulsés par ce poste-frontière, en incluant ceux qui sont entrés en Turquie illégalement et ceux qui ont un casier judiciaire », précise-t-il.

Camp de détention
Au lendemain de la rafle du 20 juillet, les réfugiés sont envoyés en bus à Kilis, près de la frontière, après un trajet de 18 heures, sans avoir le droit d’acheter de la nourriture. Ils sont ensuite entassés dans une grande salle avec 500 autres Syriens, où des couvertures leur sont données et où on leur confisque les téléphones portables. Parmi les dix colocataires d’Abderrahman et de Mohammad, seul un avait des papiers d’identité en règle obtenus à Gaziantep.

Mais selon la loi, il n’a pas le droit de résider à Istanbul. Enregistré dans un autre gouvernorat, il est, selon le récent décret turc, censé être renvoyé vers le gouvernorat en question. Durant neuf jours, les deux cousins vont être témoins d’humiliations, et n’ont pas le droit de prendre une douche. « J’ai vu l’homme qui avait des papiers de Gaziantep, il essayait de montrer qu’il ne devait pas être là, mais il a reçu une gifle et son nez a commencé à saigner », raconte Abderrahman. Un jour, un officier turc leur propose deux options : soit ils repartent en Syrie, soit ils passent six mois dans un camp dans des conditions très difficiles, pour pouvoir ensuite espérer obtenir une carte de protection temporaire. « Nous avons refusé de rester dans le camp, qui est en fait un centre de détention. Pas de téléphone, pas de sortie, et un seul repas par jour », racontent les deux hommes. L’officier turc les avertit qu’ils n’auront plus le droit de venir en Turquie pendant cinq ans, mais ils acceptent quand même de signer le document de départ volontaire. Plusieurs semaines après leur retour en Syrie, les traces des liens en plastique sont encore visibles sur leurs poignets. « Mieux vaut vivre en zone de guerre que de se faire humilier et maltraiter », disent-ils.

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