Manifestations en RD Congo : “L’Église cherche à se faire le porte-parole des sans-voix”





En RD Congo, l’Église catholique est à l’origine des manifestations contre le maintien au pouvoir de Kabila. Ce rôle politique s’explique par la place de cette religion dans le pays et la faiblesse de l’opposition, selon le chercheur Mehdi Belaïd.
“Barbarie.” Deux jours après les manifestations contre le maintien de Joseph Kabila à la tête de laRépublique démocratique du Congo (RDC), c’est ainsi que l’archevêque de Kinshasa, le cardinal Laurent Monsengwo Pasinya, a qualifié la repression violente de cette “marche pacifique” dans la capitale, qui a fait 12 morts selon les organisateurs, zéro selon la police.
“Nous ne pouvons que dénoncer, condamner et stigmatiser les agissements de nos prétendus vaillants hommes en uniforme qui traduisent malheureusement, et ni plus ni moins, la barbarie”, a déclaré le cardinal Monsengwo à la presse mardi 2 janvier.  “Comment ferons-nous confiance à des dirigeants incapables de protéger la population, de garantir la paix, la justice, l’amour du peuple ?, s’est interrogé l’archevêque de Kinshasa, qui a toujours joué un rôle de premier plan dans l’histoire du pays depuis les années 1990. Il est temps que la vérité l’emporte sur le mensonge systémique, que les médiocres dégagent et que règnent la paix, la justice en RD Congo”, a-t-il lancé.
Cette “marche pacifique et non violente” était organisée par le Comité laïc de coordination, proche de l’Église catholique, pour réclamer l’application d’un accord pouvoir-opposition signé le 31 décembre 2016, “accord violé volontairement”, a ajouté le prélat. Ce texte prévoyait la tenue d’élections au plus tard fin 2017 et avait déjà été signé grâce à la médiation des évêques congolais. Une série de scrutins, dont la présidentielle censée élire le successeur de Joseph Kabila est prévue pour le 23 décembre 2018. Un échéancier récusé par l’opposition et la société civile congolaises, qui réclament l’application de l’accord du 31 décembre 2016 et exigent une “transition sans Kabila”. Comment l’Église est-elle parvenue à s’imposer dans le débat politique et pourquoi ? Éclairages avec Mehdi Belaïd, chercheur en sciences politiques à l’université Paris I.
France 24 : Comment expliquer le rôle politique de l’Église catholique en RD Congo ?
Mehdi Belaïd : L’Église catholique a toujours joué un rôle politique et social en RDC, où le sentiment religieux, au sein d’une population majoritairement catholique, est très fort. Depuis l’indépendance du pays, elle pallie les défaillances de l’État, notamment sur les questions d’éducation et de santé. Les différents acteurs au pouvoir ont toujours essayé de s’imposer face à l’Église catholique, qui, en réaction, essayait de préserver sa place dans le système politique congolais.
Avez-vous des exemples de cette implication de l’Église dans le jeu politique ?
Elle a souvent joué un rôle d’intermédiaire lors des périodes de transition politique. Au début des années 1990, lors de l’ouverture démocratique du pays, l’Église a par exemple participé à la conférence nationale souveraine [la CNS fut un congrès lors duquel ont débattu des délégués censés représenter toutes les ethnies et toutes les couches sociales, dans le but de jeter les bases d’une nouvelle organisation, mais qui fut suspendue par le président Mobutu, NDLR].
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Le clergé a aussi joué un rôle après la guerre [officiellement terminée en 2003, NDLR]. Par exemple, la Commission électorale nationale indépendante (Ceni) alors instaurée, a longtemps été présidée par l’abbé Malu Malu, qui était évêque du diocèse de Butembo, dans l’est du pays [Malu Malu dirigeait notamment la Ceni en 2006, lors de la première présidentielle multipartiste du pays, NDLR]. Globalement, le clergé essaie toujours de se poser en accompagnateur des évolutions sociales du pays, en porte-parole des sans voix.
Comment expliquer que l’Église soit aujourd’hui plus audible que les partis d’opposition ?
L’Église est l’une des institutions les plus structurées au Congo, ce qui explique sans doute qu’elle puisse jouer ce rôle dans la mobilisation, plus que ne le peut l’opposition. On ne peut pas avoir de mobilisation sans structuration. Cette question d’organisation à l’échelle du territoire tout entier est sans doute l’un des éléments, mais pas le seul, qui explique ce rôle qu’elle a pu prendre ces dernières années.
Par ailleurs, les hommes d’Église au Congo peuvent difficilement cautionner la manière d’assumer le pouvoir de Joseph Kabila, en ce moment. Ils sont quotidiennement confrontés aux doléances de leurs fidèles et doivent sortir du rôle dans lequel les autorités cherchent à les cantonner, à savoir celui d’auxiliaires d’éducation et de santé.


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