L’«Open Arms» accoste au port de Lampedusa, les migrants débarquent

La centaine de migrants secourus au large de la Libye par l’Open Arms ont pu débarquer mardi 20 août sur l’île de Lampedusa, sur ordre de la justice. Le navire humanitaire mouillait au large, bloqué par Rome. Une enquête est ouverte. Dans la journée, une quinzaine de migrants étaient allés jusqu’à se jeter à l’eau pour tenter de rejoindre l’île à la nage. Certains auront passé 19 jours à bord.

L’Open Arms a accosté en soirée, salué par une soixantaine d’habitants et de vacanciers aux cris de bienvenue et sur l’air de « Bella ciao ». À minuit, les migrants ont commencé à descendre par petits groupes, visage souriant pour les uns, souvent crispé pour les autres, ou empreint de tristesse voire de désespoir. Ils n’étaient plus que 80, suite aux nombreuses évacuations sanitaires et au sauvetage d’une quinzaine de personnes qui s’étaient jetés à l’eau, plus tôt dans la journée.

Ce fut le dénouement d’une journée rocambolesque en Italie, avec dans l’après-midi l’annonce de la démission du chef du gouvernement, et sa charge virulente contre son désormais ex-ministre de l’Intérieur d’extrême droite Matteo Salvini. Le dénouement d’un bras de fer aussi, dont ces migrants auront été les otages. L’Ocean Viking de SOS Méditerranée et Médecins sans frontières attend d’ailleurs toujours, lui, entre Malte et Lampedusa, un port sûr où débarquer ses 356 réscapés à bord.

C’est le procureur d’Agrigente qui, dans la soirée, a mis fin au cauchemar de l’Open Arms, après avoir personnellement évalué la situation sanitaire sur place. Avec la police judiciaire et deux médecins, Luigi Patronaggio est lui-même monté à bord du navire, et a décidé sitôt son retour sur la terre ferme que les rescapés devaient être débarqués sans délai sur la petite île. La situation tendue à bord l’exigeait, a-t-il justifié. Le navire est entré par surprise dans le port à 23h30.

Pour Lillo Maggiore, fonctionnaire à Lampedusa, c’est une délivrance : « Tout le temps, dit-il,je les ai suivis de très très près. Par les pensées et par le cœur, j’étais toujours avec ceux qui étaient à bord. Enfin, ce cauchemar de l’attente en mer est terminé ! » « C’est important de manifester notre solidarité, de leur dire qu’on est de leur côté, et surtout pas du côté de ceux qui ont voulu qu’ils passent ces 19 jours dans des conditions inacceptables », renchérit Paola Pizzicori, 52 ans.

Il y avait beaucoup d’émotion au pied de la passerelle, relate notre envoyée spéciale Juliette Gheerbrandt, quand les migrants ont dû quitter l’équipage tout sourire pour les contrôles sanitaires, puis embarquer dans des minibus pour rallier le centre d’accueil temporaire de Lampedusa. Un départ vers une nouvelle vie, avec beaucoup d’inconnues. Les membres du comité Lampedusa solidarité étaient notamment présents. Et quelques partisans de M. Salvini sont venus aussi.

Ces derniers ont fait le déplacement pour dénoncer les ONG « complices des passeurs », selon la réthorique de la Ligue. Mais petit à petit, tandis que les migrants étaient acheminés vers le « hotspot », les gens sont ensuite rentrés chez eux (jusqu’à la prochaine fois ?). Quant au navire et son équipage, ils sont repartis pour la Sicile, accompagnés d’un bâtiment militaire. L’Open Arms a été placé préventivement sous séquestre, immobilisé pour une durée incertaine.

Une enquête contre X pour séquestration de personnes, omission et refus d’actes officiels, est en effet ouverte. Matteo Salvini a affirmé sur Facebook qu’elle le visait directement. Des riverains, eux, le chargent effectivement : « Ce soir, c’est une victoire, mais je retiendrai que ces 19 jours furent une grande défaite ; 19 jours passés en mer dans ces conditions, otages de l’égoïsme, de la soif de pouvoir d’un homme politique sans idée de la valeur de la vie humaine », lance l’un d’eux.

Stationné depuis jeudi à quelques centaines de mètres seulement des côtes de Lampedusa, l’Open Arms s’était vu refuser l’accès à l’île par les autorités italiennes, bien que six pays européens – France, Allemagne, Luxembourg, Portugal, Roumanie et Espagne – se soient engagés à accueillir les migrants qu’il transportait. Le refus se situait au niveau du ministre de l’Intérieur italien sortant, Matteo Salvini, actuellement en campagne médiatique pour rafler le poste de président du Conseil.

Quelques heures avant la décision du procureur Patronaggio, face au refus obstiné de Rome de faire quoi que ce soit, Madrid avait d’ailleurs fini par annoncer l’envoi d’un navire militairevers Lampedusa pour venir acheminer tous ces gens en Espagne, pays de l’ONG catalane Proactiva Open Arms qui affrète le bateau du capitaine Marc Reig. L’idée était alors de les emmener à Majorque, à environ 1 000 kilomètres de la Sicile. Le navire espagnol est même bel et bien parti.

Les militaires espagnols peuvent transporter jusqu’à 2,5 tonnes et ont pris le départ de la base de Rota, en Andalousie, relate notre correspondant à Madrid, François Musseau. « On s’entraîne pour ce genre de mission depuis un an. Je me suis préparé à toutes les éventualités. Nous sommes 62 membres d’équipage à bord, j’ai en renfort un médecin et quatre hommes d’infanterie de marine », confiait le capitaine de la corvette, Emilio Damian Marquès, avant d’appareiller.

Depuis le blocage du bateau des garde-côtes «Diciotti» il y a un an, Salvini a fait une série de tests, en fait. Il a testé, à chaque nouveau cas, la résistance des rescapés, des secouristes, des ONG, mais aussi la réaction de l’opinion publique et de ses partisans. Donc en fait, la souffrance de ces personnes lui a servi à augmenter ses scores aux élections. C’est pour ça qu’aujourd’hui est une journée importante: le procureur d’Agrigente a dit qu’il y avait des limites à la cruauté, et qu’on ne pouvait pas continuer comme ça. Et j’espère que malgré la loi «sécurité», l’enquête pourra suivre son cours et déterminer des responsabilités. Par ailleurs, le gouvernement est tombé mardi, donc je pense que personne ne pourra plus venir sauver Matteo Salvini d’un éventuel procès

Giusi Nicolini, ancienne maire de Lampedusa devenue célèbre après un tragique grand naufrage en 2013, était mardi au port pour soutenir l’Open Arms. Elle rappelle que Matteo Salvini a déjà été inquiété par la justice.

Mardi, le gouvernement intérimaire espagnol, dirigé par le socialiste Pedro Sanchez, n’a cessé de manifester son intention ferme de prendre la situation en main. À en croire l’exécutif, il s’agissait là d’une urgence humanitaire qui n’avait que trop duré, ce gouvernement considérant qu’il en allait en partie de sa responsabilité puisque le bateau bloqué depuis jeudi battait pavillon espagnol. Les militaires envoyés par Madrid arriveront donc à Lamedusa d’ici trois jours.

Proactiva Open Arms est au cœur de la vie politique espagnole, en conflit ouvert avec Madrid. Le gouvernement n’a pas de mot assez dur contre l’organisation catalane, fondée en 2015 par le secouriste Oscar Camps. Elle ne respecterait pas les législations nationales et pratiquerait illégalement le repêchage de migrants en mer. C’est la raison pour laquelle l’organisation humanitaire refusait de débarquer dans un port espagnol, où elle s’exposait à une amende record et aux pressions.

Conflit ouvert aussi, on l’aura compris, avec l’Italie. Certains à Rome ne supportaient pas que l’Open Arms puisse œuvrer près de son littoral, dans ses eaux territoriales, en essayant de forcer un débarquement. Le directeur et fondateur de l’ONG, Oscar Camps, prend les choses avec philosophie ; pour lui, le fait même de porter secours à des migrants condamnés à une traversée périlleuse est en soi un défi. Il n’est d’ailleurs pas question pour lui de s’arrêter.

Enfin, les relations entre l’Espagne et l’Italie n’auront pas aidé. « Ce que fait Salvini par rapport à l’Open Arms est une honte pour l’humanité », avait dénoncé devant la presse la ministre espagnole de la Défense, Margarita Robles, pointant du doigt des « fins exclusivement électoralistes ». Rencontré à Lampedusa, Sergio Bellavista, un syndicaliste 52 ans, exprime sa honte face à la situation. Il dénonce la xénophobie et l’instrumentalisation de la question migratoire.

Cet épisode comme tant d’autres illustre bien comment le thème de l’immigration est instrumentalisé par une politique qui ne sait pas répondre aux besoins des citoyens, et qui a décidé de leur donner un bouc émissaire: celui qui est différent, l’étranger, est devenu l’ennemi. Malheureusement, cette offensive idéologique se répand, aux États-Unis, mais je dirais aussi en France et donc en Italie. Ces forces xénophobes répondent au malaise social croissant avec des politiques racistes qui jettent l’étranger en pâture au mécontentement. Mais ici, ils finissent par céder parce l’immigration ne peut pas être arrêtée, surtout quand il s’agit de la Méditerranée. Personne ne peut bloquer la mer. Et face à ce phénomène, au lieu de permettre l’entrée par des voies légales dans ce pays, comme tous les pays de l’UE, on choisit l’option militaire, l’option de la répression. Qui ne conduit nulle part, mais fait croire aux électeurs, aux citoyens, qu’il y a un gouvernement fort qui défend les intérêts de sa population

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